AVE EVA
Dans ma liste de figures sacrées, puissantes, diabolisées, Ève est un défi.
Récemment, l’idée a germé de reproduire le linteau d’Autun, haut-relief médiéval célèbre (pour ceux qui ne le savent pas, j’ai travaillé en histoire de l’art médiéval sur le monstre, et par extension…la femme).
Ave/Eva… dans la théologie médiévale, le «Ave» qu’adresse l’ange Gabriel à Marie est parfois vu comme un renversement de l’action d’Eva (en latin) : Marie est la nouvelle Ève, celle qui va inverser le sort en engendrant le Sauveur. Zéro pression.
Alors Ave Ève, je vous salue première femme et première pécheresse, dont la faute a été considérée plus grave que l’homme.
Une analyse :
Aujourd’hui conservé au musée Rolin, le haut-relief daté de 1130 avait comme pendant Adam, aujourd’hui disparu (tant pis pour lui). L’ensemble surmontait le portail d’entrée de l’église Saint-Lazare d’Autun.
Allongée, lascive, Ève semble onduler. Gislebertus, le sculpteur, lui a donné une remarquable expression plastique.
C’est une image synthétique : concentrant plusieurs moments du récit biblique. Sur la droite, la main griffue d’un diable pousse une branche vers Ève afin qu’elle cueille le fruit de la connaissance. De la main droite, elle soutient sa joue, geste de repentir et de douleur. En effet, le péché est accompli : la nudité est déjà cachée derrière des feuilles de figuier. Les fruits renvoient autant à la luxuriance du jardin d’Eden qu’à la descendance du premier couple.
Ève rampe, comme le serpent. Elle offre à la vue la faute et son repentir, et fonctionne avec l’arrivée des fidèles : lors du Mercredi saint, les chrétiens entraient dans l’église en se prosternant, presque couchés, en signe de pénitence et se relevaient une fois passé le portail, figurant le lavage des péchés.
Pour mon Ève, j’ai choisi des couleurs pop, des paillettes, des tatouages, et le troisième œil. La posture et les végétaux proviennent de la sculpture d’origine et de motifs paléochrétiens de la crypte St-Seurin à Bordeaux.
Mais pas de diable, pas de manipulation. Elle est seule décisionnaire, elle s’en fout. Ève est présente, parmi nous toustes, elle s’impose, ne se repent pas. Et puis quoi encore?